

Vincent Van Gogh, la Nuit étoilée, 1889. Huile sur toile, 73,7 × 92,1 cm. The Museum of Modern Art, New York.
Thème déjà abordé à Arles en 1888 (musée d'Orsay, Paris), "la Nuit étoilée" de Saint-Rémy, peinte sur le motif, atteint à une stylisation extrême où le tourbillon de la touche et de la ligne emporte les cyprès, les collines, les étoiles et, au milieu, le village. La nature est représentée comme une puissance cosmique où l'homme s'engage physiquement, presque convulsivement, « jusqu'à l'extrême point où le vertige est inévitable » (lettre de Théo à Vincent). La force symbolique de l'image tient à cette condensation physique et mentale, à la fois réfléchie et inspirée, de l'artiste dans le paysage provençal. (nous verrons en musique comment se traduit la sensation de vertige, justement).

Pour voir le panorama des oeuvres de Van Gogh
Pis des extraits de lettres de Van Gogh à son frère (Théo)
Henri Dutilleux est un compositeur français né en 1915 et cette année on fête ses 90 ans, beaucoup de ses oeuvres ont naturellement été données en concert. C'est un compositeur de formation classique, pianiste, qui a fait des études d'écriture (harmonie et contrepoint) et de composition, aux conservatoires de Douai, puis de Paris.Il a obtenu le Prix de Rome (1938), et a étudié la musique de Stravinsky, d'Indy et Roussel, juste avant son départ pour la guerre (en 39). Il a été chef de choeur de l'opéra de Paris puis responsable du secteur de la Production Musicale à la radio, à partir de 1944. Il se consacre entièrement à la composition à partir de 1963. A partir de 1961, il a enseigné la composition à l'Ecole Normale de Musique de paris, puis au Conservatoire, à partir de 1970. En 1967, il reçoit le Grand Prix national de la musique pour l'ensemble de ses oeuvres. Son épouse, la pianiste Geneviève Joy, a également contribué à répandre ses oeuvres sur la scène internationale.
En Janvier 2004, il a été décoré de la Grande-Croix de la Légion d'Honneur. Puis il a reçu le Prix Nobel de la Musique appelé "Prix Ernst von Siemens". Il succède ainsi à Boulez et Messiaen, ainsi qu'à Britten (compositeur anglais). Il se trouve qu'il est l'arrière-petit-fils de Constant Dutilleux, peintre et ami de Eugène Delacroix (peintre du XIXème siècle).
Henri Dutilleux est un compositeur qui porte longtemps ses oeuvres en lui avant de les livrer au public. Chacune de ses pièces trouve dans la précédente un pré-écho, et dans la suivant une rémanence. Son oeuvre, fondamentalement poétique, ouvre largement la porte aux peintres et aux poètes, tout en défendant l'humour et l'audace.
"La littérature et la peinture sont comme de la nourriture, j'en ai besoin. Lorque je lis un beau texte, roman ou poésie, j'en suis habité. Avec Baudelaire, c'est constant. Chez lui, il y a quelque chose qui m'a toujours poussé à la réflexion, quelque chose qui m'inspire. Même phénomène avec Van Gogh. Les chocs émotifs que provoquent certaines oeuvres littéraires ou picturales déterminent souvent un premier geste musical...Ainsi, dans "Timbres, espace et mouvement", il y a un travail des couleurs et de l'espace parce qu'il s'agit de cela en peinture, mais aussi du mouvement parce qu'il y a mouvement dans le ciel de la toile de Van Gogh. En revanche, je ne trouve pas d'inspiration directe dans la nature".
"C'est vers le silence que tend la musique" (H.Dutilleux)
Cette oeuvre avait été commandée par Rostropovitch (célèbre virtuose du violoncelle), qui l'a créée en 1978 avec le Washington National Symphony. Elle est dédicacée à la mémoire de Charles Münch.
Pour composer "Timbres, espace et mouvement" ("la nuit étoilée"), Dutilleux s'est donc inspiré du tableau de Van Gogh (1889) reproduit plus haut. Cette pièce pour orchestre symphonique se compose de 2 mouvements séparés par une transition : "Nebuleuse", "Interlude" et "Constellations". L'interlude central, joué par les violoncelles seuls, fut rajouté en 1991. la pièce dure environ 15 minutes.
Ce n'est pas une simple illustration de l'oeuvre de Van Gogh, mais il lui a "semblé que l'intense pulsation qui donne vie à ce tableau, le sens de l'espace qui le domine, la palpitation du sujet principal, et par dessus tout l'effet de tourbillon presque cosmique émis par lui, pouvaient avoir des équivalents musicaux." Le compositeur suggère une représentation de la nature qui dépasse sa simple reproduction matérialiste, pour faire appel à la résonance profonde de la toile sur la sensibilité humaine.
En utilisant les registres extrêmes de l'orchestre (suraigus ou très graves), Dutilleux cherche à réunir le ciel et la terre et refléter l'état d'esprit du peintre à la recherche d'une certitude spirituelle.
L'espace de l'orchestre paraît s'agrandir par le dialogue des pupitres étagés, avec de nombreuses parties solistes. (En cela il est l' héritier de Debussy). Il s'efforce ainsi de recréer une impression de large espace, comme c'est le cas dans le tableau, un espace "hors-temps" (le vertige, l'appel, l'embrasement, la rumeur, l'obsession, apparaissent dans ses oeuvres de façon récurrente.
La couleur du timbre est déplacée vers les graves par la prédominance des violoncelles placés en demi cercle autour du chef. En effet, il n'y a pas de violons ni d'altos, mais un grand pupitre de vents et de percussions.
Le mouvement est symbolisé par une rythmique tournoyante, comme les éclats jaunes des étoiles du tableau de Van Gogh. Une alternance de mouvements statiques et de flambées sonores.
écouter "Timbre, Espaces et Mouvement" (des p'tits bouts qui donnent envie de s'installer le casque sur les oreilles, et de regarder les étoiles)
"Correspondances" a été créée en 2003 (première représentation en France sous la baguette de Kurt Masur et de l'Orchestre National de France). C'est un cycle de 5 mélodies pour Soprano et orchestre dédiées à Sir Simon Rattle et Dawn Upshaw.

Avec cette oeuvre, le compositeur français prend place dans la grande tradition de la mélodie française (Duparc, Ravel, Debussy, Poulenc...). Il s'inscrit dans la lignée de Debussy, dans le sens où la mise en musique respecte le sens et l'accentuation du texte. Il s'inscrit dans celle de Ravel, par les couleurs orchestrales, la délicatesse des nuances, le raffinement de l'orchestration. Il réussit à faire la synthèse de langages musicaux très différents, accents modaux (lettres de Vincent à Théo), atonalité des gongs 1 & 2 (poèmes de Rilke). L'orchestre laisse la voix s'épanouir, sans jamais l'étouffer.
Mais écoutons la voix de Dutilleux:
"J'ai voulu que chaque poème traite "par analogie" l'idée de cosmos et en même temps de Religion parce que le Cosmos et la Religion sont très liés pour moi"..."l'"infini", son évocation me paraît s'imposer pour établir ce lien. Dans le tout premier mouvement, j'ai utilisé un poème de l'auteur indien, Mukherjee, de religion hindoue. Cette première lettre, c'est une sorte d'adresse à Shiva, une danse cosmique: "que fais-tu dans l'oubli du monde?". C'est une métaphore plutôt qu'une lettre.
Puis, d'un univers céleste à l'autre, celui de l'ex-URSS, la lettre de Soljenitsyne à Rostropovitch(écrivain russe) est introduite par transition grâce à l'accordéon"...J'ai choisi l'accordéon parce que j'ai pensé aux camps en URSS, où c'est souvent l'instrument des prisonniers. Il joue le rôle du fondu enchaîné au cinéma, entre les grandes forces du cosmos et la triste réalité humaine". Dans la lettre de Soljenitsyne, celui-ci évoque la religion dans l'évocation du destin, d'un Dieu qui aurait favorisé sa rencontre avecRostropovitch, qui a couru des risques en le défendant. "C'est sur cette parole du destin que j'ai fait la citation du thème de l'"innocent", leitmotiv qui revient dans "Boris Godounov" de Moussorgski, évoquant tout l'avenir et la souffrance de la Russie.
"L'ultime lettre consiste en passages de la correspondance de Vincent Van Gogh à son frère Théo. On y voit le peintre avec des envies d'infini , peignant les étoiles la nuit. Il dit: "j'ai un besoin terrible de religion" et puis il est tendu entre deux forces. Il écrit: "malheureusement, à côté du soleil du bon Dieu, il y a le diable Mistral". On retrouve encore la misère humaine dans le café qu'il a voulu peindre, "où l'on peut se ruiner, devenir fou", et cela finit sur "les ténèbres d'un assommoir" qui trouvent évidemment un écho dans la douleur du peintre et sa fin tragique.
Auparavant j'ai ajouté deux "Gongs" de Rilke, extraits du recueil "chants éloignés", traités dans l'esprit du récitatif: l'un "timbre" et l'autre "bourdonnement", faisant ainsi le lien entre correspondance sonore mais aussi correspondance d'espace. les gongs comme les tams-tams ont un espace infini. mais les gongs sont souvent accordés sur une note précise tandis que les tams-tams ont une variété infinie d'harmoniques. En pensant à cela, le poète a développé l'idée d'infini. On retrouve l'idée du cosmos au-dessus de l'espace humain." ...la correspondance existe aussi entre cette pièce et "Timbres, espace, mouvement".
"Je pose un questionnement sur le monde. On dit souvent que la philosophie et la musique sont deux mondes qui ne vont pas toujours ensemble: pourtant dans "Dominante bleue", à la fin de l'oeuvre, j'ai voulu terminer par un pianissimo qui a presque un sens philosophique, un pianissimo qui tend vers le silence: le silence d'où vient et va la musique".
impossible de trouver "correspondances" sur la "toile": tant pis! voici 2 petits morceaux de ce compositeur, c'est tout ce que j'ai trouvé mais c'est déjà sympa!
Gong
Rainer Maria Rilke
Non plus pour des oreilles… : timbre
qui comme une oreille plus profonde
nous écoute, qui semblons écouter.
inversion des espaces. Esquisse
de mondes intérieurs au dehors…,
temples avant leur naissance,
solution saturée de dieux
difficiles à dissoudre… : Gong !
Somme de ce silence qui
n’a d’autre foi qu’en lui-même,
grondant retour en soi de cela
qui ne se tait que de soi-même,
durée sous le pressoir du terme proche,
étoile livrée à la refonte… : Gong !
Toi que jamais l’on n’oublie,
qui t’es engendrée dans la perte,
fête que plus rien ne conçoit,
vin sur une bouche invisible,
tempête dans la colonne qui porte,
chute du voyageur sur le chemin,
toi, notre trahison en tout… : Gong !
GONG
Pour Suzanne B…
I
Bourdonnement épars, silence perverti,
Tout ce qui fut autour, en mille bruits se change,
Nous quitte et revient : rapprochement étrange
De la marée de l’infini.
Il faut fermer les yeux et renoncer la bouche,
Rester muet, aveugle, ébloui :
l’espace tout ébranlé, qui nous touche
ne veut de notre être que l’ouïe.
Qui suffirait ? L’oreille peu profonde
Déborde vite -, et ne penche-t-on
Contre la sienne, pleine de tous les sons,
La vaste conque de l’oreille du monde ?
2
Comme si l’on était en train
De fondre des Dieux d’airain,
Pour y ajouter encor
Des Dieux massifs, tout en or,
Qui en bourdonnant se défont.
Et de tous ces Dieux qui s’en vont
En de flambants métaux,
S’élèvent d’ultimes sons
Royaux !
petit compte-rendu du concert dans madame musique..
3
(…Arbres d’airain, qui dans l’ouïe font
mûrir les fruits ronds
de leur sonore saison…)
7 comments:
Vincent van Gogh self portrait found at Geneva flea market by Jules Petroz
watch the video on
http://www.youtube.com/watch?v=JqQDtEizSt0
Grâce à toi j'ai repris la Sonatine de Dutilleux pour flûte et piano que j'eus eu dans les doigts il y a une paire de dizaines d'années. Ma collègue prof de piano m'ayant entendu travailler entre deux cours est venue "voir" à quoi ressemblait la partie de piano, et hop la mayonnaise a pris (c'est vraiment de la musique de chambre, pas un accompagnement bidon)et nous voilà lancées pour un prochain concert de profs! Gloire aux effets collatéraux des blogs, merci à toi.
yes!!!c'est ce vers quoi je tends exactement, de donner envie de...merci les gens (et toi itou) pour tous ces comm'chaleureux. bon ben, moi, aujourd'hui, j'ai droit à un chocolat.je cours de ce pas m'acheter ces oeuvres que j'avais en K7 (bof, j'veux du son, du vrai...).
Ah bon? On grave les oeuvres classiques sur du chocolat maintenant? 'tin, c'est beau le progrès!
mais euh?... non, c'est parce que je me récompense pour mon boulot, mais je comprends que ça passionne pas tout le monde, hein? ;-)
C'est magnifique ces 2 poèmes sur le gong. Ça fait des années que je me dis : faudrait bien que j'en achète un ! Faire retentir le gong au réveil, me semble que la journée doit commencer du bon pied. Mais j'attends. À un moment, je verrai ou entendrai quelque chose qui me décidera. Comme ces poèmes par exemple. Je te donne des nouvelles si j'en acquierres un (j'ai pas envie de sortir mon Bescherelle, tu pardonnes hihi).
XXXX plus que plus
oui, c'est un rêve...mais j'ai été particulièrement touchée par les gongs indonésiens (indescriptiblement merveilleux) et le tam tam (les harmoniques changent toute la donne). mais avec un quart de queue, ça va pas être possible. J'aime Rilke depuis très longtemps. La musique de ces mots,le choix des images.
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